Photographies numériques, dimensions variables, 2015

Vue exposition au salon de Montrouge, 2015

Parlons technique

 

 

Jeune diplômée des Beaux-Arts de Paris, Mélanie Feuvrier pratique une photographie essentiellement objective et descriptive. Recourant le plus souvent au studio pour ses prises de vue, elle ne dédaigne pas non plus les reportages photographiques en extérieur, non sans reconduire toutefois une visée esthétique épurée d’artefacts industriels, à l’instar de sa série de vues, réalisée en 2012, de lotissements familiaux flambant neufs. Elève d’Eric Poitevin, elle a retenu de son travail la recherche dépouillée d’une présence physique concentrée, avec laquelle elle investit les conventions et codes visuels des publications populaires et commerciales. Son dernier travail, qui s’inspire plus particulièrement des images de catalogues de maisons d’outillage pour professionnels, montre une série d’images frontales sur fond blanc d’un modèle masculin revêtu de diverses tenues de chantier, déclinant en gros plans, portraits et plans moyens, des attitudes et postures de démonstration à peine démarquées de ces catalogues : ajustage de lunettes, placement de mousses auditives, réglage de lanière de casque, tenue de réglet, port manuel de viseur… A première vue, rien ne semble départir ces images des standards de référence : inexpressivité du modèle, cadrage net des détails et neutralité des fonds concourent à rendre l’impassible froideur fonctionnaliste de ces tutoriels de bricolage. Des images pour apprendre le bon maniement des accessoires qu’il s’agit juste de reproduire chez soi, et non faites pour la délectation des regards. Pourtant, à y regarder de plus près, ce travail qui pourrait passer pour un pur copier-coller de modes d’emploi standardisés et ferait signe vers un formalisme citationnel de composition de figures, à la manière d’Edouard Levé, par exemple, photographiant des attitudes sportives ou pornographiques d’après images imprimées, fidèlement reproduites en studio par des danseurs habillés, Mélanie Feuvrier s’ingénie à le perturber et à en déplacer la teneur d’indifférence visuelle vers une sorte de construction seconde, troublante et même assez louche. Nombre de « petits détails » chiffonneraient un lieutenant Columbo de salon !  Ainsi le formalisme surjoué de certains détails, comme ces pseudo-monochromes injustifiés qui ponctuent la série ; ces plans incohérents de pinces qui ne pincent rien ou de haut d’escabeau replié sans fonction ; et puis ces mains « au travail » qui s’emploient, avec la même rigueur pédagogique, à montrer la bonne façon d’ouvrir… un coffre-fort ! Enfin, il y a ce portrait incliné du modèle, sortant subitement de sa réserve inexpressive pour offrir un sourire complice accompagné d’un clin d’œil appuyé, un peu trop familier, un brin salace…

Et s’il s’agissait finalement d’une sorte de roman-photo inavouable mimant, d’après standards, en studio mais comme à la maison, la vieille relation de l’artiste et du modèle, cet emploi de l’autre toujours en construction comme un chant d’amour en habits de chantier ?

 

 

Vincent Labaume