La photographie de Mélanie Feuvrier décline des situations et des gestes dans des séries sophistiquées. Les visages sont quasiment absents, ce qui dépersonnalise les modèles, comme les personnages d’un théâtre universel dans une intrigue qui reste encore à déterminer. Se dégagent des histoires génériques, presque des allégories contemporaines, tant les personnages photographiés acquièrent le statut d’archétypes. Le travail sériel inventorie et appuie cet aspect du modèle fictif devenu emblématique. À cela s’ajoutent la neutralité des fonds et la pureté plastique empruntée aux codes populaires visuels. Le regard parfois clinique se traduit dans la pâte aseptisée de ces situations pourtant loin d’être hiératiques. En somme, tout se joue dans le léger écart établi avec l’imagerie commune. Dans Chant d’amour en habit de chantier, les attributs classiques des ouvriers sont détournés dans un répertoire gestuel poétique et absurde. L’action a priori la plus simple est transformée en un rituel solennel avec un rendu non dénué d’humour, à la fois documentaire et intime. Même catalogage de petits riens dans La main du lecteur où diverses mains sont photographiées au centre de la composition, dans des attitudes qui les caractérisent comme de véritables personnages.

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Mélanie Feuvrier a choisi de montrer les fruits de sa dernière série photographique, Castwoman, mettant en scène des femmes portant des plâtres ou des attelles aux jambes (« cast » renvoyant en anglais au moule utilisé pour le plâtre). La photographie de mode y est détournée à travers certains attributs féminins : vêtements, talons, vernis à ongles rouge. Pas réellement estropiées, ces modèles sont agencées avec des faux plâtres dans des narrations inventées et ludiques renvoyant aux lubies des casters ou gypsophiles. L’objet du désir est déplacé tout en conservant certains codes classiques : une femme alanguie dans la belle chaise longue LC4 de Le Corbusier, une autre arborant une botte à talon haut aussi blanche que son plâtre, une troisième jouant de ses mains vernies sur ses béquilles comme sur des flûtes. L'immobilisation médicale est utilisée dans chaque cas comme un catalyseur poétique de la situation. Pour Mélanie Feuvrier, le modèle est en effet le matériau premier de la photographie qu’elle utilise comme un médium plastique et malléable dans la capture des beautés a priori ordinaires.

 

 

Texte rédigé par Elora Weill Engerer

dans le cadre de l'exposition  "Dynamique du contre"